La place de La Tordue dans la chanson française d'aujourd'hui
est exemplaire, à la fois pour la rigueur des choix artistiques
du groupe et pour la ferveur qu'il suscite en fédérant
plusieurs générations d'auditeurs autant que plusieurs
sensibilités (des amateurs de bringue acoustique aux fidèles
de la chanson poétique). Plus de deux ans après Le
vent t'invite (Le Choc du Monde de la musique n° 241, mars 2000),
revoici La Tordue avec la même passion des mots, des instruments
et d'un sens partagé des choses - donner la rime et la mélodie
comme on pose le pain sur la table. L'engagement du groupe dans
certains combats humanitaires et politiques donne ouvertement sa
couleur au disque, mais laisse aussi la place à des collaborations
radieuses, comme L'Heureux Mix, tout simple mais spectaculaire collier
de citations de chansons: "J'ai dix ans dans la gare de Nantes/Ma
petite est comme l'eau/Avec le temps les passantes/Faut pas que
j'loupe mon vélo. Et La discipline de l'exercice est flagrante,
mais, d'énumération en suite (une forme qui manifestement
a passionné La Tordue) cet album dessine un monde aux mécaniques
lisibles, dans lequel le coeur affirme ses droits et ses penchants
c'est salutaire. Les instrumentations toujours savamment simples,
utilisent toujours une palette infinie de timbres et de textures
acoustiques, et même ça et là des programmations
électroniques. Boisé fruité, mais émondé
par l'habituelle propension à l'austérité de
La Tordue, ce disque dévoile de mystérieux équilibres.
On ne sait pas immédiatement qui va l'aimer - Papa, Maman,
les gosses ou les grands-parents - mais on comprend d'emblée
que ce disque est important.
Bertrand Dicale
ROLLING
STONE
Ces déjà vétérans propulsent la chanson
française dhier vers demain
Douze ans déjà que les galopins de La Tordue gravent
leurs rimes sur les bancs usés de la chanson. Les comptines
du groupe sont toujours teintées de réalisme ("Parano")
et les ritournelles populaires au rendez-vous ("Le Zéle
des iles"), même si La Tordue tente sur ce cinquième
album le double pari de l'engagement politique et de la bidouille
electro ("Cap'tain Naimo).
Sans trop en faire lorsqu'ils pamphlètent contre la double
peine (sur "Le Pétrin") en compagnie de Magyd Cherfi
de Zebda, des Femmouzes T, de Sergent Garcia ou de Robert Wyatt,
et sans jamais s'éloigner de leur port d'attache lorsqu'ils
mouillent dans les eaux de Kingston ("La Vie c'est dingue"),
les Français atteignent enfin une sorte d'équilibre
entre forme et fond. Audacieux parfois ("L'Heureux mix")
et parfaitement accompli Champ Libre, avec ses mots d'hier, ses
rythmiques d'aujourd'hui et ses voix de demain, s'orthographie désormais
"Chant Libre".
Vincent Georget
LA TORDUE, LIBERTE CONDITIONNEE
Les années aidant, La Tordue affine son style et en sort
plus riche que jamais.
Sur scène, La Tordue est chez elle! Voilà douze ans
qu'elle y
balade sa gouaille, sans relâche. En studio, c'est une autre
histoire: pas toujours à l'aise avec la technique, et cherchant
à retrouver l'ambiance des concerts, le trio trouvait à
ses albums comme un arrière-goût d'inachevé.
Avec Champ libre, La Tordue s'est décidée à
peaufiner son cinquième album. " On a travaillé
de manière complètement différente, plus vite,
mais de manière plus efficace, raconte Benoît (chant).
On a réparti les rôles et travaillé avec une
vraie équipe, ce qu'on n'avait jamais eu jusqu'à présent.
Avant, le studio, c'était un peu comme à la maison,
on bidouillait nous-même. Ca paraît fou, mais on n'avait
jamais fait un disque comme cela doit se faire... Un peu "normalement".
Désormais épaulée par une major et deux réalisateurs,
La Tordue n'en est pas pour autant rentrée dans les rangs.
Champ libre foisonne de couleurs empruntées à différents
horizons, du ska sautillant à la polka farouche. Avec pour
" fil rouge " les textes, toujours subtils, humanistes,
et plus ludiques que jamais.
PP
Epic/Sony Music
EPOK
CHAMP LIBRE
Jusqu'à présent, une large fosse séparait l'énergie
scénique des mousquetaires de la Tordue de leurs trois premiers
albums faits de bric et de broc. Fluidifiée par le binôme
de réalisateurs Loo et Placido (ceux du Kékéland
de Brigitte Fontaine), leur quatrième édition est enfin
décloisonnée. La Tordue trahit avantageusement ses aînés
des Têtes Raides et le courant neoginguette, pour flirter du
côté du dub et du reggae (L'Heureux mix). Et mêler
judicieusement la voix capiteuse de Benoît Morel à des
notes orientales ou des parfums des îles (Le Zèle des
î1es avec les Femmouzes T.).